Président du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC), Nouhou Djibo parle du processus de décentralisation au Togo, des difficultés rencontrées, et fait des propositions.
Lisez plutôt !
I228 – Vous êtes un acteur de la société civile et votre organisation est très active sur les questions de décentralisation au Togo. C’est quoi la décentralisation ?
Nouhou Djibo – La décentralisation est un processus qui permet à l’Etat de transférer aux entités territoriales, personnes morales de droit public distinct de lui, un pan de ses compétences et pouvoirs, de sorte à ce que celles-ci, dotées d’une autonomie financière, puissent s’administrer en toute liberté, dans le respect bien entendu, des dispositions légales régissant la matière. De façon simple, il faut comprendre par décentralisation, le fait pour l’Etat de confier une partie de la gestion des deniers publics aux élus locaux.
Q – Quelle appréciation faites-vous du processus de décentralisation au Togo ?
R – Le processus de décentralisation au Togo a été très long et est caractérisé par plusieurs réformes. Ces réformes ont été introduites entre autre, par la loi n°98-006 du 11 janvier 1998 ; la loi n° 2007-011 du 13 mars 2007 ; la loi n°2018-003 du 31 janvier 2018 et la loi n°2019-006 du 26 juin 2019, toutes relatives à la décentralisation et aux libertés locales.
En outre, divers organes, parmi lesquels le ‘‘Conseil National de Suivi de la Décentralisation’’, ont été créés pour faciliter la mise en œuvre effective de la décentralisation. Pourtant, et depuis tout ce temps, il a fallu attendre juin 2019 pour que le Togo organise enfin des élections locales, élections qui ont connu une grande mobilisation et participation des citoyens.
Malgré ce long processus qui suppose en principe que le Togo a eu suffisamment le temps de se préparer, de se doter d’outils et d’instruments juridiques nécessaires à la mise en œuvre effective de la décentralisation, il est cependant constant que la décentralisation au Togo est encore balbutiante. En effet, plusieurs difficultés se dégagent sur le terrain de la mise en œuvre. On peut citer entre autres :
- la confusion ou la non-maîtrise par les différents acteurs impliqués à divers niveau du processus, de leurs véritables attributions ;
- la compréhension laconique du concept de décentralisation et des enjeux;
- la difficulté pour les acteurs à établir nettement la frontière entre la décentralisation et la déconcentration ;
- la réalité de l’insuffisance des ressources allouées par l’Etat aux collectivités locales ;
- Le sous-équipement des collectivités locales ;
- La nécessité de renforcer les élus locaux dans divers domaines de compétence ;
- Le déficit de formation tant au niveau des populations que des agents et conseillers municipaux, voire même au niveau de l’administration centrale, l’absence d’un cadre juridique normatif pour le contrôle citoyen de l’action publique…
Le gouvernement du Togo a certes le mérite d’avoir organisé des élections locales qui consacrent en principe l’effectivité de décentralisation et par conséquent la gouvernance participative et locale. Cependant s’il ne s’active pas à prendre les dispositions et mesures qui s’imposent pour la résolution des problèmes ci-dessus énumérées, dont la liste n’est d’ailleurs pas exhaustive, le processus de décentralisation risque de ne pas avoir les effets escomptés. Et ce sera tout simplement déplorable.
Q – La décentralisation au Togo est régie par une loi. Beaucoup d’acteurs politiques et de la société civile s’accordent à dire que ces textes souffrent de beaucoup d’anomalies. Que pensez-vous de la loi sur la décentralisation ?
R – Aucune loi n’est parfaite si ce n’est que prétendument. C’est d’ailleurs pour cette raison que toute loi est susceptible d’amélioration. La loi relative à la décentralisation a en effet connu de multiples réformes qui ont, en réalité, permis au législateur d’y apporter de sensibles améliorations. Ainsi, à l’analyse, la loi n°2019-006 du 26 juin 2019 est plus à même à garantir la mise en œuvre effective de la décentralisation que la loi de n°2007-011 du 13 mars 2007.
Le problème par contre se situe au niveau de l’application de cette loi. A ce jour, la loi sur la décentralisation n’est pas appliquée dans l’entièreté de ses dispositions. Tout comme bien d’autres lois malheureusement, cette loi semble être appliquée de manière sélective selon les enjeux et les objectifs. En un mot, la loi sur la décentralisation est une loi organique qui a besoin de règlements pour une bonne application sur le plan pratique afin d’éviter des interprétations erronées ou partisanes.
Q – Après un an d’exercice, beaucoup de problèmes sur le plan administratif (Rapport Ministre-Préfét-Maire), des contentieux territoriaux etc … ont été soulevés. Selon vous, qu’est ce qui explique cette situation ?
R – Cette situation ô combien déplorable était prévisible et n’a rien d’étonnant. Elle est due d’une part à la difficulté pour certains acteurs impliqués dans le processus de décentralisation, de pouvoir établir de façon nette, la différence entre la décentralisation et la déconcentration afin d’en ressortir les implications. Autrement dit, il se pose un problème de compréhension laconique du concept de la décentralisation et d’interprétations de la loi organique, d’autant plus que tous les acteurs sont en mode apprentissage.
D’autre part, cette situation est imputable non seulement à l’absence d’une véritable juridiction administrative fonctionnelle au Togo, mais aussi à l’absence de la culture de saisine des juridictions par les citoyens, sur les sujets relatifs au contentieux administratif précisément (organe de l’Etat contre citoyen).
Cela étant, en dépit des innovations apportées par le nouveau code de l’organisation judiciaire de la République Togolaise adopté par l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’Etat le 30 octobre 2019, en ce qui concerne l’institution des chambres administratives près les tribunaux de grande instance afin de faciliter la gestion du contentieux administratif, ces chambres administratives semblent n’être que peu sollicitées. Or elles se trouvent être le principal arbitre sur le terrain des jeux de pouvoir entre les différents acteurs impliqués dans le processus de décentralisation.
Aussi, le non-respect ou mieux l’observation partielle de la loi relative à la décentralisation constitue-t-il une source de problème qui handicape l’effectivité de la mise en œuvre de la décentralisation.
Q – Tout récemment votre structure CGDPC a adressé une lettre au ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales l’invitant à œuvrer pour la mise en œuvre de l’article 17 de la loi sur la décentralisation relative à l’installation du « bureau du citoyen ». Quel est l’objectif de cette action ? C’est quoi le bureau citoyen ? Quelle est son utilité dans la gestion des communes ?
R – Lorsqu’on comprend les dispositions contenues dans l’article 17, c’est que l’on a la réponse à la série de question que vous avez posées. Alors je me fais le devoir de citer cet article dans son intégralité :
- Il est créé un bureau du citoyen.
- Les citoyens ont le droit de saisir les élus locaux sur les questions et sujets qui les concernent.
- Cette saisine est faite par l’intermédiaire du bureau du citoyen.
- Le bureau du citoyen est une institution locale de contrôle de l’action publique locale par le citoyen. Il est le centre d’écoute et de recueil des attentes, préoccupations et suggestions des citoyens de la collectivité territoriale.
- Les modalités d’organisation et de fonctionnement du bureau du citoyen sont précisées par un arrêté du Ministre chargé de la décentralisation.
Il apparaît donc clairement que l’objectif de notre initiative est d’exhorter l’autorité en charge de la décentralisation à agir dans les prérogatives qui lui sont reconnues par la loi, de manière à favoriser la participation effective des citoyens à la gestion des affaires locales. Notre projet vient du constat que le citoyen est perçu comme acteur de développement mais tant qu’il ne peut contrôler l’action publique ou inter agir avec les élus locaux, son rôle ne saurait être effectif.
Q – Quelles sont vos propositions pour l’amélioration du processus de décentralisation ?
R – Le CGDPC met au cœur de toutes ses actions la bonne gouvernance et la prévention des conflits, des maux qui gangrènent notre société et affecte négativement le processus démocratique qui bat toujours de l’aile. Depuis 2016, le Centre a mis en place un Programme dénommé, Café du Dialogue Démocratique qui permet à travers plusieurs activités, débats et conférences, de rapprocher les autorités étatiques des autres composantes de la société togolaise notamment les Osc et les populations à la base sur des questions d’intérêts public tel que la décentralisation, le contrôle de l’action publique, la lutte contre la corruption…. Du fait de la pandémie de la Covid19, l’année 2020 a été assez particulière et n’a pas permis la réalisation de certaines activités. Dans les jours à venir, le Centre va continuer de se mobiliser avec d’autres acteurs et partenaires pour soutenir et apporter sa contribution au processus, aux cotées des citoyens, des élus locaux et des autorités étatiques afin que la bonne gouvernance soit régie en règle d’or et permettre ainsi une répartition équitable des ressources publiques et aussi faire obstacle au cycle infernal des conflits.
Q – Un mot á l’endroit de nos lecteurs ?
R – A l’endroit de vos lecteurs, je voudrais rappeler que la décentralisation est une affaire de tous les citoyens. Elle ne peut être réussie sans la contribution et la participation effective de tous à la gestion de la chose publique. Je les exhorte alors à s’engager et à s’impliquer activement à quelque niveau de la chaîne sociale où chacun se trouve (Comités de quartier, de village ou autres).
Aussi voudrais-je, en ces moments périlleux de pandémie de corona virus, appeler chacun à la vigilance et au respect rigoureux des mesures barrières afin de se protéger et protéger leurs proches.
Par ailleurs, l’année tire à sa fin et c’est aussi l’occasion pour moi de rappeler à tous et à chacun, la vigilance sur les routes par le respect du code de la route et surtout la limitation de vitesse. La vie est sacrée, dit-on. Alors cherchons à la préserver.