Isidore Akollor, président du PPT

Liberté de presse 2021 : une année sombre pour les journalistes togolais

La situation des journalistes inquiète le Patronat de la presse togolaise (PPT) qui considère l’année 2021 comme étant la plus sombre de l’ère démocratique au Togo en termes de liberté de presse. Le PPT se dit préoccupé par l’autocensure à laquelle beaucoup de médias sont désormais astreints et ce pour plusieurs raisons : suspension de parutions des journaux, retrait de récépissé, arrestation de journalistes, mise sur écoute et espionnage de journalistes notamment au moyen du logiciel Pegasus, inculpation et emprisonnement de journalistes pour délit de presse.
Face à la presse lundi, le Patronat de la presse togolaise a brossé l’état de la liberté de presse au Togo sur la période de janvier à décembre 2021. « La liberté de presse, fille de la liberté d’opinion et d’expression reconnue par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art. 19) et consacrée par la Constitution togolaise (art. 26), est un droit fondamental qu’il est dangereux de restreindre. L’année 2021 a été malheureusement marquée par des événements et décisions qui mettent à mal l’exercice du métier de journaliste au Togo », pointe le PPT dans son rapport.
Pour étayer son constat, l’assocation dirigée par Isidore Akollor rappelle quelques dates clés.
– 26 janvier 2021 : Retrait du récépissé à l’hebdomadaire « L’Indépendant express » dans l’affaire « Scoop de fin d’année : Femmes ministres interpellées pour vol de cuillères dorées »
– 03 février 2021 : Arrestation de 3 journalistes dans les locaux de la Préfecture du Golfe pour avoir interviewé un Chef de quartier de Lomé à la sortie d’une audience avec le Préfet d’alors. Charles Kponwadan (site d’information Horizon News), Anani Vidzraku (Radio Victoire) et Romuald Lansou (web-télé Togoinfos) ont été soumis à plus de 3h d’interrogatoire à la Brigade territoriale de la Gendarmerie nationale puis relâchés après avoir supprimé leurs enregistrements (sons et images)
– 05 février 2021 : Suspension du Bihebdomadaire « L’Alternative » de 4 mois de parutions dans l’affaire du ministre Tsolenyanu ;
– 30 mars 2021 : Suspension de l’hebdomadaire « Fraternité » de 2 mois de parutions dans la même affaire opposant l’Alternative au ministre Tsolenyanu
– 18 juillet 2021 : Révélation d’espionnage des journalistes togolais (Ferdinand Ayite, Carlos Ketohou et Luc Abaki) au moyen du logiciel Pegasus, suite à une enquête publiée par un réseau international de journalistes d’investigation
– 16 septembre 2021 : Condamnation de Ferdinand Ayite, Directeur de publication de L’Alternative à une amende de 4 millions de FCFA dans l’affaire « petrolegate » ;
– 11 octobre 2021 : Suspension de l’hebdomadaire « The Guardian » de 4 mois de parutions et le retrait de la carte de presse à son Directeur de publication, Ambroise Kpondzo qui n’a même pas été auditionné par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC)
– 03 Novembre 2021 : Suspension du bimensuel La Symphonie de 2 mois de parutions pour avoir donné son avis sur l’irrégularité de la décision de la Haac à l’endroit du journal The Guardian ;
– 09 décembre 2021 : La Chambre administrative de la Cour Suprême a annulé la décision de la Haac relative à la suspension pour deux mois du journal « La Symphonie ». Une première au Togo
– 10 décembre 2021 : Ferdinand Ayite, Directeur de Publication du Bihebdomadaire « L’Alternative » et Joël Egah, Directeur de Publication de l’Hebdomadaire « Fraternité » sont placés sous mandat de dépôt et détenus à la Brigade des Recherches et d’Investigation (BRI) avant d’être déférés à la prison civile de Lomé
Isidore Kouwonou, Rédacteur en chef du journal « L’Alternative » et présentateur de l’émission incriminée est sous contrôle judiciaire depuis le 10 décembre 2021
Ils sont inculpés de délits de presse par voie électronique
– 31 décembre 2021 : Ferdinand Ayite et Joël Egah recouvrent leur liberté provisoire et sont sous contrôle judiciaire.
Au regard de tout ce qui précède, le PPT fait un plaidoyer pour l’abrogation des peines privatives de liberté contenues dans le code de la presse.
« Nous assistons dangereusement à un musèlement programmé de la presse critique au Togo », selon Isidore Akollor.
En effet, Ferdinand Ayite, Directeur de Publication du Bihebdomadaire « L’Alternative » et Joël Egah, Directeur de Publication de l’Hebdomadaire « Fraternité » ont été placés sous mandat de dépôt le 10 décembre 2021 avant d’être provisoirement libérés après 21 jours d’emprisonnement et mis sous contrôle judiciaire. Le confrère Isidore Kouwonou, Rédacteur en chef du journal « L’Alternative » et animateur de l’émission incriminée est sous contrôle judiciaire depuis le 10 décembre 2021.
Une affaire qui continue de défrayer la chronique et faire couler beaucoup d’encre. Néanmoins, elle a le mérite de révéler les limites du Code de la presse et de la communication en matière de protection et de promotion de la liberté de presse au Togo.
En effet, les trois confrères ont été inculpés pour des opinions exprimées dans une émission consacrée à la décision des autorités de conditionner l’accès aux lieux de culte à la présentation du pass vaccinal ou d’un test PCR négatif.
Lors de ladite émission débat « L’autre journal » sur la chaîne YouTube « L’Alternative TV », les confrères ont critiqué la posture de certains membres du gouvernement, notamment les sieurs Pius Agbetomez et Kodjo Adedzé qui sont à la fois ministres et pasteurs.
Le Patronat de la Presse Togolaise (PPT) maintient sa position et estime que les griefs portés contre les journalistes dans l’exercice de leur profession doivent être appréciés au regard des dispositions du Code de la presse et non du Code pénal, conformément au principe sacrosaint du droit selon lequel « La loi particulière prime sur la loi générale ». Car, s’obstiner à appliquer aux journalistes critiques du pouvoir le Code pénal, en vue de faciliter leur détention, fait craindre un retour aux heures les plus sombres de la presse togolaise, qui a pourtant fait de la dépénalisation des délits de presse son cheval de bataille depuis 2004.

Piqûre de rappel sur l’adoption du Code pénal en 2015

A l’attention des professionnels des médias et de l’opinion publique tant nationale qu’international, le PPT rappelle certains faits pour leur permettre de se faire leur propre opinion au sujet de la polémique autour de l’article 3 du Code de la presse et de la communication.
1. Dire que tous les journalistes ont accepté d’exclure les réseaux sociaux du champ d’application du code de la presse est une contrevérité. Car, à l’atelier de validation à Kpalimé, toutes les organisations de presse ou presque ont émis des réserves sur cette disposition.
Insidieusement, le projet de loi du gouvernement adopté par l’Assemblée nationale contient des articles à la lisière du Code de la presse et du Code pénal, notamment l’alinéa 2 de l’article 3, l’article 5 relatif à la presse en ligne et l’article 156.
Certes lors de son adoption, le PPT comme d’autres organisations de presse, a été convié à la séance plénière de l’Assemblée nationale mais pas à la commission des lois où se mènent les débats de fond.
2. Lors de l’adoption du nouveau Code pénal en 2015, une organisation de presse en l’occurrence « SOS Journaliste en danger » avait battu le pavé et mené une fronde contre l’article 497 du Code pénal, relatif aux publications d’information fausse par voie électronique.
Les autorités d’alors, notamment le Ministre de la Justice, Me Tchitchao Tchalim et le président du groupe parlementaire majoritaire Unir, Christophe Tchao, étaient montés au créneau pour rassurer l’opinion que ledit article ne sera jamais appliqué aux journalistes et le cas échéant, de faire prévaloir leur statut de journaliste au Juge qui se trouvera dans l’obligation de se référer aux dispositions du Code de la presse.
3. Lors des 44ème assises de l’Union de la Presse Francophone (UPF) à Lomé en 2015, une délégation de l’organisation avait rencontré les sommités de l’Etat togolais sur ce fameux article 497 du Code pénal qui inquiétait les journalistes ; ladite délégation avait été rassurée que les dispositions du Code pénal ne concernent pas les journalistes.
4. A la cérémonie d’ouverture de ces assises de l’UPF, interpelé sur le sujet par Peter DOGBE, le Président de l’UPF Togo, le Premier ministre d’alors, Sélom KLASSOU avait déclaré en substance que l’article 497 du Code pénal ne constitue, ni aujourd’hui ni demain, une épée de Damoclès sur la tête des journalistes.
Une question à laquelle le PPT ne trouve pas de réponse mérite d’être posée : « que s’est-il passé entre 2015 et 2021 pour que nos autorités ne respectent plus leur parole donnée. N’y a-t-il pas le principe de continuité de l’Etat au Togo même si la primature a changé de main ? ».
Le PPT estime que les raccourcis juridiques et l’empressement avec lequel les journalistes sont arrêtés ces derniers temps dans notre pays sont de nature à favoriser un retour inquiétant de l’autocensure dans les médias et jettent par-dessus tout, du discrédit sur le gouvernement du président Faure Gnassingbé.
Classé en 2007 dans le Top 50, 49ème sur 180 pays, synonyme de bon élève en matière de la liberté de presse par Reporters sans frontières, le Togo a dégringolé et se retrouve à la 74ème place en 2021. Si nous n’y prenons garde, nous risquons d’hypothéquer les chances d’éligibilité de notre pays au programme Compact du Millenium Challenge Corparation. Sans être un oiseau de mauvais augure, l’indicateur « Liberté de l’information » va virer au rouge et s’ajouter aux « droits politiques », un autre indicateur cher au Congrès américain pour l’éligibilité d’un pays au programme Compact.

Plaidoyers et lobbying pour assainir le cadre légal défavorable à l’ancrage de la liberté de presse au Togo

Sur les peines privatives de liberté, le nouveau Code de la presse et de la communication qui intègre désormais la régulation de la Presse en ligne, comporte des dispositions aux antipodes de la dépénalisation des délits de presse. Il s’agit notamment de :
Article 3, alinéa 2 qui écarte les réseaux sociaux de son champ d’application : « … Les réseaux sociaux sont également exclus du champ d’application du présent code, lesquels sont soumis aux dispositions du droit commun. » ;
Article 5, relatif à la presse en ligne qui précise les moyens de communication qui ne sont pas considérés comme organes de presse en ligne : « Ne peuvent être reconnus comme organes de presse en ligne les blogs, les réseaux sociaux notamment, Facebook, WhatsApp, Twitter, Imo, Instagram et autres… » ;
Article 156 qui renforce l’article 3 : « Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a eu recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour commettre toute infraction prévue dans le présent Code, est puni conformément aux dispositions du droit commun. ».
Sur les articles susmentionnés, le PT fait quelques remarques. Isidore Akollor et son bureau estiment qu’à l’ère du numérique, les blogs et les réseaux sociaux constituent non seulement des outils de communication pour les journalistes mais aussi des extensions pour les médias traditionnels (Presse écrite, radio et télévision). « Les exclure du champ d’application du Code de la presse et de la communication fera des professionnels des médias togolais, des journalistes de seconde zone », soutiennent-ils.
L’abrogation demandée ne concerne pas les autres peines d’emprisonnement contenues dans le Code de la presse et de la communication, notamment en ses articles 155 « toute personne convaincue d’avoir prêté, de quelque manière que ce soit, son nom au propriétaire ou commanditaire d’une publication visée par le présent code est punie de trois (03) mois à deux (02) ans d’emprisonnement et d’une amende de deux cent mille (200.000) à un million (1.000.000) de francs CFA… », 157 « Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a soit appelé à la haine interraciale ou interethnique, soit appelé la population à enfreindre les lois de la République est puni conformément aux dispositions du droit commun », 158 : « Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a appelé les forces armées et les forces de l’ordre à se détourner de leurs devoirs envers la patrie est puni conformément aux dispositions du droit commun. ».

Par ailleurs, le PPT estime que certaines modifications nouvellement apportées à la Loi organique de la HAAC sont attentatoires à la liberté de presse et au rôle de contrepouvoir que les médias doivent jouer dans une démocratie.
En effet, l’article 66 de ladite loi dispose que : « A l’exception de la diffamation, de la dénonciation calomnieuse, de l’atteinte à l’honneur et de l’outrage envers les représentants de l’autorité publique, des symboles et des emblèmes de l’Etat qui relèvent exclusivement de la compétence des juridictions, toute personne physique ou morale peut saisir la HAAC pour tous les cas de violation de la législation en matière de presse et de délits de presse en vue d’un règlement à l’amiable conformément aux dispositions du Code de la presse et de la communication. ».
Une telle disposition introduit insidieusement des peines d’emprisonnement pour des délits contre les institutions en violation des dispositions du Code de la presse et de la communication, notamment les articles 159, 160, 161, 162, 164 et 166.
Le PPT estime que l’article 66 de la nouvelle Loi organique de la HAAC participe du musellement de la presse critique au Togo.

S’agissant des lourdes peines d’amende
Contrairement à l’ancien Code de la presse et de la communication, le nouveau prévoit de lourdes peines d’amende pour les délits de presse, à hauteur de 2, 3 voire 5 millions de francs CFA.
Il s’agit notamment des articles 150, 151, 152, 159, 160, 161, 162, 163, 166, 167, 168 et 169.
La précarité et l’environnement économique dans lequel végète la presse privée togolaise ne permet à aucun média privé de faire face à ces lourdes peines d’amende. Les entreprises de presse se trouveront dans l’obligation de mettre la clé sous le paillasson.

Détaxation des intrants d’imprimerie, des matériels de production et diffusion médiatique
– Adoption du décret d’application de la Convention de Florence (1950) et du protocole de Nairobi (1976), ratifiés par le Togo le 16 Novembre 2009 ;
Pour permettre de baisser le prix des intrants d’imprimerie, des outils et matériels de production et de diffusion médiatique, à hauteur de la moitié de leurs prix actuels.

Appel du Patronat de la Presse Togolaise (PPT)

Fort de tout ce qui précède, le Patronat de la Presse Togolaise lance un vibrant appel à la mobilisation de tous les professionnels des médias (journalistes et techniciens), de toutes les Organisations professionnelles de la presse, tant du public que du privé pour :
1. L’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 3, l’article 5 relatif à la presse en ligne et l’article 156 du Code de la presse et de la communication du 07 Janvier 2020 ;
2. L’allègement des lourdes peines d’amende du nouveau Code de la presse et de la communication pour les arrimer aux dispositions de l’ancien Code de la presse et de la communication ;
3. L’adoption du décret d’application de la Convention de Florence et du protocole de Nairobi, ratifiés par le Togo depuis le 16 Novembre 2009.
Le PPT estime que seul l’assainissement du cadre légal permettra l’ancrage de la liberté de presse et l’émergence d’une presse libre et responsable au Togo.
Le PPT rappelle qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité. « A l’entame de la nouvelle année 2022, le PPT convie les journalistes que nous sommes à une autocritique sincère, à plus de professionnalisme pour nous éviter les soubresauts et zones de turbulence que nous avons traversés en 2021 », a lancé Isidore Akollor à l’endroit des professionnels des médias.

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