Libre penseur et politologue de son état,Madi Djabakaté aborde dans une tribune l’épineuse question des coups d’État en Afrique et propose des pistes de solutions pour y remédier. Lire la tribune
Je pense que la crédibilité et l’efficacité des normes anti-coups d’État, s’il doit y en avoir, dépendraient de leur application universelle et sans discrimination. La lutte contre les coups d’état ne peut se réduire à menacer les militaires qui prennent le pouvoir, mais doit débuter avec la condamnation des troisièmes mandats et révisions des constitutions sur mesure. De façon globale, il faut prendre en compte les causes profondes qui poussent les populations à acclamer les putschistes, telles que la fraude électorale, la pauvreté, l’exclusion, la corruption, l’injustice et le manque de services publics.
La prévention des coups d’Etat repose sur plusieurs éléments indépendants mais interconnectés, notamment le respect de la démocratie, le renforcement du contrôle démocratique des forces armées et l’exercice du pouvoir dans le respect des principes de la bonne gouvernance sur l’ensemble du territoire de l’État. Les coups d’Etat ont souvent été motivés par des tentatives de prolongation ou de modification des mandats présidentiels, comme en Guinée où le président Alpha Condé fit adopter une nouvelle constitution lui permettant de briguer un troisième mandat controversé.
A défaut d’une ouverture démocratique (renforcer le dialogue, la participation et la transparence dans les processus politiques), il faut accepter la donne suivant laquelle le moyen de changer de gouvernement reste le recours aux coups d’Etat. La lutte contre les coups d’Etat est un défi majeur pour la paix, la sécurité et le développement en Afrique, et elle nécessite une action collective et coordonnée de tous les acteurs concernés qui doivent cesser d’être sélectifs dans leur condamnation des coups d’Etat.
Les acteurs régionaux et internationaux doivent être plus cohérents et fermes dans leur condamnation des coups d’Etat, et ne pas faire preuve de complaisance ou de double standard selon les intérêts en jeu. Tout en évitant de rééditer l’erreur de croire que l’élection est la clé passe-partout.
Les élections ne sont pas une garantie de démocratie, ni de stabilité, ni de développement. Elles peuvent même être sources de conflits, de fraudes ou de contestations, si elles ne sont pas organisées dans des conditions transparentes, inclusives et équitables.
Pour toute personne qui aborde la question sans préjugés et désireuse de trouver une solution pérenne, une transition doit avoir pour objectif de répondre aux aspirations des populations qui ont manifesté leur volonté de changement, et de créer les conditions d’une gouvernance plus respectueuse des droits humains, de l’État de droit et de la participation citoyenne. Pour cela, il faut que la transition soit accompagnée de réformes politiques, institutionnelles, sécuritaires et socio-économiques, qui tiennent compte des causes profondes des crises et des besoins des populations.
Cela n’a rien à voir avec un diktat d’une transition chronométrée et standardisée. Qui aurait cru possible des coups d’Etat au Burkina, au Mali et au Niger après les transitions passées et les recréations électorales successives. Pourquoi au Ghana d’après Rawlings il n’y a plus eu de coups d’Etat ?
Une transition doit être l’occasion de réviser la constitution, de renforcer l’indépendance de la justice, de réformer le secteur de la sécurité, de lutter contre la corruption, de promouvoir le dialogue social, de favoriser la réconciliation nationale, ou encore de mettre en place des politiques publiques en faveur du développement durable et de la justice sociale. Bien sûr, ces réformes ne peuvent pas être réalisées en quelques mois, ni imposées par les autorités de transition ou les acteurs internationaux. Elles doivent être le fruit d’un processus participatif, qui implique toutes les parties prenantes, y compris la société civile, les partis politiques, les médias, les syndicats, les groupes armés, les communautés religieuses, les femmes, les jeunes, les minorités, etc.
Comment sortir du cycle transition-élection-coups d’Etat en Afrique ?
Selon nos valeurs traditionnelles ancestrales, le fourneau traditionnel en Afrique repose sur trois pieds pour symboliser la stabilité, l’harmonie et l’équilibre entre les forces de la nature, les ancêtres et les vivants. Le fourneau est aussi un lieu de transmission des savoirs et des valeurs de la communauté, notamment aux jeunes générations. Alors je vais répondre à ma question sur trois pieds :
D’abord, il faut reconnaître que les coups d’Etat sont souvent le symptôme d’une crise de la gouvernance, qui se manifeste par un déficit de légitimité, de représentativité, de transparence, de redevabilité et de performance des autorités présumées élues. Il faut donc renforcer la qualité de la démocratie, en assurant le respect de la constitution, l’alternance pacifique du pouvoir, la participation citoyenne, l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, le pluralisme politique, le dialogue social, etc.
Ensuite, il faut s’attaquer aux causes profondes des frustrations et des mécontentements qui alimentent le soutien populaire aux coups d’Etat, comme la pauvreté, les inégalités, l’exclusion, la corruption, l’insécurité, le manque de services publics, etc. Il faut donc promouvoir le développement humain, la justice sociale, la cohésion nationale, la réconciliation, la prévention des conflits, etc.
Enfin, il faut renforcer le rôle des acteurs régionaux et internationaux dans la prévention et la gestion des crises politiques, en appliquant de manière cohérente et ferme les normes et les principes anti-coup, comme la suspension, les sanctions, le dialogue, la médiation, l’accompagnement, etc. Il faut donc consolider la coopération et la coordination entre les différentes organisations, comme l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, les Nations Unies, l’Union européenne, etc.
Bien sûr, ces pistes ne sont pas exhaustives, ni faciles à mettre en œuvre ; elles nécessitent une volonté politique, une vision stratégique, une mobilisation sociale, une appropriation nationale, un soutien international, etc. Mais je pense qu’elles sont indispensables pour sortir du cycle transition-élection-coup d’Etat en Afrique, et pour construire une paix durable et une démocratie vivante sur le continent.
Papa Khadidja